Quatre garçons dans le vent

Quatre garçons dans le vent pour avoir décidé d'unir leurs voix.
Quatre voix qui surfent avec élégance sur la vague portante des groupes vocaux.
Quatre voix qui soufflent à l'unisson un air de complicité.


Loin des grosses machineries musicales, loin des mises en scène délirantes, avec pour seuls décors quatre micros, une batterie et parfois un piano, quatre voix qui volent avec bonheur dans les hautes sphères du succès populaire. Un succès qui, parce que populaire, ne leur vaut pas que des amitiés. Un succès confirmé en concert où leur charisme et leur présence sur scène convainquent en douceur l'esprit le plus rétif. Reprises du répertoire nord-américain et compositions originales en français sont leur marque de fabrique. Des idées de partage, de plaisir et de curiosité d'esprit sont leur règle d'or. Qu'ils prennent le temps de disputer un match de foot avec une équipe de rencontre ou qu'ils invitent un jeune groupe vocal sur scène, en sont l'illustration naturelle. Pascal Periz, Alain Chennevière (deux anciens " Alligators " des années 80), Bertrand Pierre et Ahmed Mouici : concert à quatre voix assez (d)étonnant...

- Ce qui nous a réunis, c'est cet amour des voix, des harmonies vocales, et même si l'on a des goûts communs très forts, nous avons aussi quatre pôles d'influence différents. Nos racines viennent respectivement du gospel, de la soul music, de la pop music anglaise, du blues, et de ce qu'il est convenu d'appeler le rock d'une manière générale : un mélange de noir et de blanc qu'on voudrait lumineux, harmonieux, plutôt que gris... et qui nous est de toute façon indispensable, vital même. On avait emmagasiné tellement d'idées chacun de notre côté qu, peu à peu, on s'est mis à écrire des petites choses en français pour se constituer un répertoire original...

- " Comme un guetteur ", qui est la chanson-titre de votre dernier album, souhaite transmettre " l'espoir d'un monde meilleur " ? Vous croyez la chanson capable d'agir sur les mentalités ?

- On ne se sent ni porteurs d'un message ni investis d'une mission, et d'ailleurs la chanson de termine par une interrogation : est-ce que cela rendra le monde meilleur ? Mais on a un tel rapport de complicité, d'intimité presque avec les gens, qu'on ne peut que leur transmettre du positif. Bien sûr, une chanson peut changer la vie d'un homme ou même la vie d'un pays, et pourtant c'est quelque chose de très simple, qui peut devenir une alchimie magique entre son auteur et son auditeur, mais ce n'est pour nous ni un drapeau, ni une marque distinctive.
Tout ce qu'on pourrait dire serait peut être : Allez y, faites-le, vivez votre passion, soyez curieux de ce qui se passe près de chez vous, prenez vous en charge ! On n'a pas fait le tour du monde, mais on est un groupe, on se respecte chacun dans nos différences pour en faire de l'énergie.
Quatre voix, ce sont aussi quatre esprits différents, et chacun apporte sans cesse aux autres, d'un point de vue musical comme d'un point de vue humain. Et ce côté humain de la relation nous paraît primordial. D'ailleurs, ce qui nous préoccupe le plus après un concert, c'est de savoir si les gens sont réellement heureux parce qu'on a donné quelque chose... ou parce qu'ils ont été préparés, conditionnés pour nous faire un succès. La valeur véritable pour nous, c'est la qualité de l'échange, qui passe par la sincérité, et la connivence qui existe entre nous.

- Comment vous situez vous aujourd'hui dans la vogue des groupes vocaux et comment analysez-vous plus spécialement votre succès public... et le rejet d'une certaine critique ?

- D'abord, nous ne sommes pas des militants de la chanson a capella, c'est pour le moment notre plus grand plaisir parce que cela nous permet de toucher à tous les styles de musique. Et c'est toujours - et pour longtemps - cette notion de plaisir, si possible partagé avec les spectateurs, qui guide nos choix : on aime avant tout chanter, mais nous gardons les oreilles ouvertes à toutes les expériences musicales possibles. Chacun d'entre nous a ses propres goûts, ses propres attirances, et cherche çà les faire partager aux autres : cela fait quatre antennes en quête de musique.
Ensuite, le succès de Regagner les plaines - le premier album - et les passages en télévision nous ont attiré des sympathies (le moyen de se faire connaître du grand public), et aliéné avec un synchronisme curieux d'autres pseudo-sympathies (le besoin d'élitisme de petits dits intellectuels)... Tout cela nous semble être une question d'image qui n'a rien à voir ni avec la musique, ni avec les gens qui la font. Une certaine presse, prétendue musicale, a de lourdes responsabilités dans ce manque de sérénité, d'objectivité même, vis-à-vis des artistes.
Les vraies valeurs ne résident pas, selon nous, dans une attitude ou dans une apparence, mais à l'intérieur des gens. Hubert-Félix Thiéfaine, par exemple, remplit les salles de concert où il le veut, quand il le veut, sans avoir recours à la télévision : c'est vraiment l'exemple hors norme de l'époque. Dans un autre style, Maxime Le Forestier occupe également une place très importante, lui qui revient sur le devant de la scène avec l'expérience d'un vieux bluesman ou d'un griot africain. En ce qui nous concerne, ni le groupe, ni notre musique n'ont changé depuis ces années encore récentes où nous chantions dans de petits lieux moins médiatisés que maintenant.
Etant passés successivement des deux côtés de la barrière, nous pouvons analyser les changements de comportement à notre égard avec un certain recul, et on pourrait dire, sous forme de boutade, qu'un artiste dit commercial n'est bon que lorsqu'il est mort : c'est ce que les chanteurs - et les musiciens, et les écrivains... - possèdent en commun avec les Indiens...

Propos recueillis par Rémy LE TALLEC
Chorus n°7 "Printemps 1994"



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