Quand Le Chat n'est plus là...
les poissons dansent.
Ils ont fait un triomphe sur la scène du Casino de Paris, leur deuxième album "Comme un guetteur", comme le premier, est aussi surprenant que soigné. Nous les avons rencontrés pour faire le point.
Pow woW est un groupe des années 90, dont deux membres avaient formé les Alligators à la fin des années 70 et même joué avec Eddy Mitchell...
Alain : Pascal et moi, nous sommes originaires de Caen. Là-bas, il y a 15 ans, on a fait de la musique ensemble pendant deux ou trois ans puis on s'est perdus de vue avant de rencontrer Ahmed. Ensuite on est "monté" à Paris, c'est là qu'on a connu Bertrand. Chaque fois qu'on se retrouvait par hasard dans des cabarets à Paris, là où on pouvait faire la manche, on s'amusait à faire ensemble du jazz, du rock ou du blues a capella. Tout ça parce qu'on n'avait pas d'instruments de musique. Ca a duré dix ans avant qu'on décide d'aller plus loin.
Ahmed : A l'origine, on ne pensait pas du tout créer un groupe a capella, car on voulait un piano et une contrebasse pour refaire des vieux standards. On ne pensait pas même écrire de nouveaux trucs. C'était juste une récréation, une bouffée d'air. Puis, on a fait des premières parties de concerts...
Bertrand : C'est seulement là qu'on a commencé à composer. Des musiciens, comme le batteur d'Alain, qui nous faisait travailler depuis le début, sont devenus nos managers et ont présenté notre rêve devenu projet à des maisons de disques.
Ahmed : On a vu toutes les maisons de disques. Trois étaient d'accord pour nous sortir. BMG et WEA voulaient faire un premier simple avec la reprise du "Lion est mort ce soir".Comme on préférait commencer avec un original, on a signé chez Remark qui avait craqué sur "Le chat".
Vous avez réalisé le premier album seuls de A à Z. Alain a même dessiné la pochette avec un des premiers visuels du groupe. Sur le premier pressage du simple du "Chat" il n'y avait pas votre photo. Sur le deuxième album non plus ?
Alain : J'avais dessiné nos affiches. la pochette du premier album, c'est une tête de bison stylisée, façon indiens Navaros.
Ahmed : Celle du second, 4 totems. C'set un peu notre volonté de ne pas mettre de photos. On préfère rester dans un univers graphique, car cette direction a un côté plus intemporel.
Bertrand : On a très vite adoré ces totems de l'Ile de Pâques, car on s'y est tous reconnus. Cette île est un endroit que tout le monde connaît de nom mais peu de gens savent où la situer. Un endroit un peu du domaine de l'imaginaire, qui nous ressemble. Et puis si on ne pet pas nos photos, c'est qu'on ne veut pas se voir vieillir (rires).
Alain : On n'est pas des pionniers mais on va un peu vers toutes les influences. Pour nous, il n'y a pas que la musique anglo-saxonne ou française. Partout, il y a des musiques folkloriques. On se sent très proches de tous ces univers : les Peaux-Rouges pour le premier album, les grands espaces pour le second.
Que pensez-vous du star-system avec toutes ses ramifications, comme le merchandising ?
Ahmed : Au début, on ne s'en est pas occupés. C'est allé trop vite, on a fait tout de suite des tournées. Puis on a essayé d'analyser notre public, de savoir qui achetait nos T-shirts lors de nos concerts.
Alain : C'est vrai qu'on essaie de contrôler notre image : les pochettes des disques, les cartes postales... Quand on nous apporte dix photos "possibles", une fois que chacun de nous a éliminé celles qu'il n'aimait pas, il n'en reste souvent qu'une... et encore. En ce qui concerne le star-system, on n'a pas le choix. A partir du moment où on a un succès populaire, on est obligé d'accepter certaines choses : se montrer en télé, donner des photos... Est-ce que ça va trop loin ? Je ne sais pas. La seule chose importante pour nous, c'est de rester naturel le plus possible. La preuve, c'est qu'on est venus jusqu'ici à pied ou en métro (rires).
Bertrand : Le truc c'est qu'après avoir vendu 1,2 million d'albums, on ne peut plus faire ce qu'on veut. Le public ne comprendrait pas de nous voir dans des MJC, et qu'on ait pas de T.Shirt à vendre au Casino de Paris.
On vous voit beaucoup dans la presse ado. POurtant cotre musique n'est pas essentiellement destinée aux jeunes. Qui sont vos fans ?
Bertrand : Dans nos spectacles, c'est vrai u'on a vu récemment un couple de 75-80 ans, mais ils y a, avant tout, des jeunes. Ce sont eux qui sortent le plus, qui sont le plus fervents, les plus disponibles et les plus chaleureux.
Ahmed : Il y a quelques années qui aurait pu croire que des chanteurs a capella passeraient dans Salut ? Et la plupart des jeunes savent aujourd'hui ce que signifie "chanter a capella", alors qu'il y a dix ans ?...
Alain : Moi, je ne connaissais pas ces journaux-là, car je n'étais pas fana des artistes qu'ils traitaient. Mais comme on touche réellement toutes les tranches d'âge, on peut se montrer à la fois dans cette presse et dans des débats télé à 20 H 30, sans y perdre notre identité. On s'est rendu compte que le grand public n'était pas que crétin. Si on a été si longtemps au Top 50, c'est qu'il n'achète pas que de la M...
Harry Connick Jr ou Liane Foly, semblent être de votre famille musicale. Connick n'a pas votre présence dans les médias. Vous l'expliquez ?
Tous : On est plus proche de Connick que de Foly.
Bertrand : Il est beaucoup plus jazz que nous. Mais j'adire ce qu'il fait. Je l'ai d'ailleurs vu à l'Olympia et j'ai pris une grosse claque.
Ahmed : On a les mêmes sources d'inspiration que lui : les années 30 à 50, des groupes comme les Mills Brothers, des chansons comme "Basin' street blues" ou "St Louis Blues". En France, Connick est tout nouveau, il faut lui laisser le temps. Mais je ne m'inquiète pas pour lui, on le verra dans la presse jeune.
Bertrand : Tous les artistes qui marquent passent un jour par cette presse jeune. Goldman, Cabrel, Sheller en on fait la une avant d'avoir un public fidèle et de pouvoir s'en passer.
Alain : On a d'abord laissé faire à la presse certaines choses sans trop se rendre compte des conséquences. Aujourd'hui, on a rectifié le tir et on est à la fois d'accord sur les photos et sur le rédactionnel qui passent.
Que pensez-vous des autres groupes vocaux ? Quels sont vos goûts musicaux, toutes catégories confondues ?
Ahmed : On est d'abord fans du Golden Gate Quartet et des TSF. Ces derniers ne sont vraiment un groupe à capella pur. On s'inspire bien sur de ces groupes pour l'ambiance. Mais pour les harmonies, l'influence est plutôt Beatles, Birds, Everly Brothers, Stills Nash and Young Queen, Who, des groupes blancs pop ou rock influencés par les noirs. Et on est pas les seuls : les Shy ou les Boys Two Men ont les mêmes inspirations que nous.
Alain : Si on créé Pow woW, c'est justement qu'on est fans de tas de gens : les Beatles, Gene Vincent, Elvis Presley, Aerosmith. Ces derniers nous ont d'ailleurs explosé les tympans à leurs dernier concert à Paris.
Tous (pêle-mêle) : On aime les gens qui ont du talent : Jonaz, Sheller, Goldman, mais aussi Kent, M.C Solaar. Les Innocents, Arthur H, FFF... Mais on respecte les gens qui touchent un public. Florent Pagny a touché toute une génération en chantant son message, c'est respectable. Nous, on est quatre, on a pas tous les mêmes idées alors on préfère ne pas avoir de message et chanter des ambiances.
C'est pourquoi on trouve beaucoup de reprises dans vos albums ?
Bertrand : C'est aussi grâce aux reprises qu'on existe... A notre premier concert à l'Olympia, les gens du Golden Gate Quartet étaient dans la salle. On était très émus, mais on a réussi à chanter "Run on", un de leurs succès. Ils sont venus ensuite nous voir dans la loge. On était doublement heureux : de les voir mais aussi d'avoir fait connaître ces vieux standards à des mômes.
Ahmed : En ce qui concerne "Le lion est mort ce soir", c'est un clin d'oeil à notre enfance. C'est aussi un vieux thème africain "Wimoweh" qu'on a fait chavirer sur le wap dou wap, dans l'esprit de la version des Tokens et d'Henri Salvador en 1961. Mais toues les groupes ont fait des reprises même les Beatles et les Stones il n'y a pas à en avoir honte.
Bertrand : Si on fait des reprises, c'est parce que la musique actuelle s'éloigne du travail mélodique classique. Dans la techno ou le rap, il y a trop de machines agressives. Il y avait plus de mélodies ne serait-ce que dans le soul ou le disco des Bee Gees.
Ahmed : Le disco, à l'origine c'est du soul : Earth Wind and Fire, James Brown, avec en plus des gimicks rythmiques. Mais "The lion sleeps tonight", on le préfère quand même en version sixties, la reprise disco de Tight Fit en 1978, c'est moins notre truc.
Que retenez vous des années 60 ?
Tous : Gainsbourg, Nougaro, Mitchell. Ce dernier a fait de très bons albums solos juste après les Chaussettes Noires, Dick Rivers, mais aussi Mike Shannon, qui l'a remplacé dans les Chats Sauvages et qui chantait très bien. Nino Ferrer bien sûr et le summum qui pour nous est Christophe.
Alain : Dassin pour moi c'est vraiment trop kitch, bien que j'adorais "La Marie Jeanne". Tu me diras que tout ce qui est kitch est à la mode. Regarde Claude François, il fait tout le temps en permanence un carton dans les soirées.
Ahmed : Moi, j'adorais "Le jouet extraordinaire" de Cloclo je trouvais ça monstrueusement bien foutu.
Vous êtes collectionneurs de disques ?
Alain : Oui, je vais jusqu'à écouter mes vieux disques sur de vrais Teppaz c'est ma folie.
Ahmed : Moi je préfère écouter des vinyles mais sur une bonne chaîne stéréo. Surtout ceux de Sam Cook, dont on a repris "Chain gang", et que je n'ai pas trouvé en CD. Si certaines compiles sont mal faites, en revanche, le "Rouge" et le "Bleu" des Beatles que je viens d'entendre on vraiment un super son.
Justement ce deuxième album où on trouve "Chain Gang", Earth Angel" ou encore "I wanna be like you", que Douchka avait adapté en français... est bien plus instrumental que le premier ?
Bertrand : On n'est pas des puristes du "A capella". Depuis le premier concert, où il y avait une guitare sur deux tiers des morceaux on a souvent eu quelques instruments pour nous accompagner.
Ahmed : On a rajouté des instruments pour l'atmosphère des morceaux pour aussi permettre aux voix de se concentrer sur l'essentiel. Dans "Comme un guetteur", c'est le piano qui donne l'ambiance cabaret, dans "Le poisson dans la vitrine", la guitare apporte la touche bossa-nova.
Alain : On ne savait pas que Douchka, la fille de la magnifique Pascale Petit (Ndlr : Eh oui, ils sont au courant...) avait aussi adapté "I wanna be like you". C'est plutôt drôle et ça nous traumatise pas pour autant. On peut tout reprendre à partir du moment où on y met notre patte. C'est presque un travail de création, une re-création et une récréation.
Bertrand : Après Douchka, on reprendra peut être Dassin, "La Marie-Jeanne". Non, sans rire on a bien envie de reprendre Nougaro ou Christophe.
Pour l'avenir, vous vous projetez loin ? Pensez-vous comme les Beatles, traverser le temps ?
Bertrand : L'avenir proche ce sont les Francopholies de Montréal, le Casino de Paris, dont on a très peur et le deuxième extrait du deuxième album. Après "Le roi des escrocs", sortira "Le poisson dans la vitrine" et on prendra un peu de vacances.
Pascal : On aimerait bien faire la carrière des Beatles, mais personne ne veut être John Lennon (rires). Mais bien sûr qu'on aimerait que "Le chat" devienne mythique comme l'était pour nous "Le lion est mort ce soir". Dans une école de Colombes, les gamins apprennent déjà à chanter avec "Le chat", c'est donc pas si mal parti...
Propos recueillis par Christophe Daniel
Le 9 novembre 1993

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